288 IMPRESSIONS DE VOYAGE J'avais beaucoup parlé de lui à Nijni-Novgorod, avec Anninkof et sa femme, les deux héros de mon roman du Maître d'armes, exilés de décembre tous deux, qui, après trente ans de Sibérie, venaient de rentrer en Russie. La comtesse Anninkof, notre compatriote Pauline Xavier, m'avait montré une croix et un bracelet que Bestuchef lui avait forgés avec un morceau des fers de son mari. Ces deux bijoux. - car, sous les mains de l'habile for- geron, un anneau de chaîne s'était transformé en deux véritables bijoux, ces deux bijoux étaient le symbole naturel de la poésie, qui transforme tout ce qu'elle touche. - Je connaissais donc Bestuchef-Marlinsky, comme dé- cembriste, comme exilé, comme orfévre, comme poëte et comme romancier. Mais, je le répète, tout cela ne m'apprenait pas ce que c'était que cette Oline Nesterzof, dont la tombe était à einq cents pas de la forteresse. Je demandai des renseignements. Nous vous montrerons d'abord sa tombe, me dit la femme du gouverneur, et ensuite nous vous raconterons son histoire. A partir de ce moment, j'eus grande hâte que le dé- jeuner finît. J'aime fort les bons déjeuners; mais j'aime encore mieux les bonnes histoires, et, si j'eusse vécu du temps de Scarron et que j'eusse été de ses diners, le plat que j'eusse préféré, c'est le rôti sérvi par sa femme. Le déjeuner fini, ces dames voulurent nous accompa- gner jusqu'au cimetière chrétien. Nous gravîmes encore une centaine de pieds, à peu près, pour sortir de la forteresse, et nous nous trou- vâmes sur un plateau dominant d'un côté un immense