282 IMPRESSIONS DE VOYAGE Le nouveau khan s'achemina vers Derbend, força les portes et reprit la ville. Le lendemain de sa rentrée en possession, le khan donna l'ordre à tous les fidèles de se rendre à la mos- quée. Les bons musulmans s'y rendirent; les mauvais res- tèrent chez eux. A chacun de ceux qui se rendirent à son ordre, le khan fit, à leur entrée dans la mosquée, arracher un œil. Quant à ceux qui étaient restés à la maison, on leur arracha les deux yeux. On pesa les yeux de tous ces borgnes et de tous ces aveugles: il y en avait, mesure persane, sept batmans; mesure russe, trois pouds et demi; mesure française, cent dix livres. Tous ces yeux sont enterrés sous la colonne qui s'é- lève en face de la porte, entre les deux platanes. J'étais en train d'écouter cette histoire, qui ressemblait assez à un conte de la sultane Schéhérazade, lorsque je vis s'avancer vers moi une troupe d'une vingtaine de Persans conduits par un vingt et unième, qui paraissait leur chef. J'étais loin de me croire l'objet de leurs recherches; mais, au bout d'un instant, il ne me fut plus permis de conserver aucun doute à ce sujet. C'était bien à moi qu'ils en voulaient. -- Qu'est-ce que cela, mon cher prince? demandai-je à Bagration. - Mais, me répondit-il, cela m'a tout l'air d'une dé- putation. – Croyez-vous qu'on ne vienne pas pour m'arracher