276 IMPRESSIONS DE VOYAGE sance, d'après les événements qu'elle a vus s'accomplir! Mais Derbend, c'était bien cela; c'était bien la ville, non pas aux portes de fer, mais la ville porte de fer elle- même; c'était bien la grande muraille destinée à séparer l'Asie de l'Europe, et à arrêter contre son granit et son airain les invasions des Scythes, cette terreur du vieux monde, aux yeux duquel ils représentaient la barbarie vivante et dont le nom était emprunté au sifflement de leurs flèches. Nous nous décidâmes enfin à entrer dans la ville. C'était bien la ville frontière, la ville limite, la ville placée entre l'Europe et l'Asie et qui est à la fois euro- péenne et asiatique. Au haut, la mosquée, les bazars, les maisons à toit plat, les rampes escarpées conduisant à la forteresse. Au bas, les maisons à toit vert, les casernes, les drojkys, les charrettes. Seulement fourmillait dans les rues le mélange des costumes persans, tatars, tcherkesses, arméniens, géor- giens. Puis, au milieu de tout cela, lente, froide, glacée, blanche comme un spectre dans son linceul, la femme arménienne avec son long voile blanc drapé à la façon de la vestale antique. Ah! c'était beau, très-beau. Mon pauvre Louis Bou- langer, mon cher Giraud, où étiez-vous? Nous étions deux à vous appeler, Moynet et moi. Les voitures s'arrêtèrent devant la maison du gou- verneur, le général Acceief. Il était à Tiflis; mais les domestiques attendaient sur le perron, mais le diner était servi. Bagration avait étendu son bâton de magicien