LE CAUCASE 271 Seulement, la plupart du temps, c'est une affaire manquée. Je ne saurais trop le dire et le redire à ceux qui feront le voyage que j'ai fait, et la recommandation s'étend à tous les peuples d'Astrakan à Kislar, il faut tout emporter avec soi, et, de Kislar à Derbend, faire ses provisions, quand, par hasard, on passe dans une ville ou dans un aoul. En Italie, on mange mal; en Espagne, on mange peu; mais, dans les steppes, on ne mange pas du tout. Au reste, les Russes ne paraissent pas le moins du monde éprouver le besoin de manger, et, par les choses qu'ils mangent pour la plupart du temps, on voit que, chez eux, manger, non-seulement n'est pas un art, mais n'est pas même une habitude; pourvu que le somavar bouille, pourvu que le thé fume dans les verres, que ce soit le thé jaune de l'empereur de la Chine, ou le thé kalmouk du prince Tumaine, peu leur importe. Ils font ce que font les Arabes après avoir mangé une datte le matin et une datte le soir : ils serrent d'un cran la ceinture de leur kandjar, et, partis avec des corpulences ordinaires, ils arrivent à destination avec des tailles d'amoureux de vaudeville. Mais, avec le prince Bagration, qui avait habité la France, qui aimait la France et qui appréciait si bien ses produits végétaux et animaux, quadrupèdes et bipèdes, la disette n'était point à craindre. J'en suis encore à me demander où il s'était procuré le pâté de foie gras que nous entamâmes à Karakent et que nous ne finimes qu'à Derbend. Car, enfin, à vol d'oiseau, nous étions bien à