LE CAUCASE 269 Nous étions dans le pays du pittoresque : il eût fallu s'arrêter à chaque pas; il eût fallu tout prendre. A Bouinaky, nous retrouvâmes nos voitures et le domestique du prince. Je restai avec Bagration dans sa tarentasse; Moynet et Kalino s'installèrent dans la mienne; en cinq minutes, les chevaux furent attelés; on partit. A deux cents pas de l'aoul, nous fimes lever une compagnie de perdrix qui alla se remettre à cinquante pas de l'endroit où elle avait pris son vol. Nous arrêtâmes les tarentasses et nous nous mîmes a leur poursuite. J'en tuai une. La bande s'enleva par dessus une pe- tite colline qui nous interceptait la vue. Je la suivis. En arrivant au sommet de la colline, j'oubliai mes perdrix : j'étais en face de la mer Caspienne. Elle était d'un bleu-saphir, pas une ride ne courait à sa surface; seulement, comme le steppe dont elle semblait la continuation, c'était le désert. Rien n'était plus majestueusement triste que cette mer d'Hyrcanie, comme l'appelaient les anciens, mer presque fabuleuse avant Hérodote, dont Hérodote le premier fixa l'étendue et les limites, et qui n'est pas beaucoup plus connue aujourd'hui que du temps d'Hé- rodote. Mer mystérieuse qui reçoit tous les fleuves du Nord, de l'Occident, du Sud; qui, de l'Est, ne reçoit que du sable; qui engloutit tout, ne rejette rien, s'écoule sans qu'on sache par quelle route souterraine se perd son eau; qui se comble peu à peu et qui finira, un jour, par être un grand lac de sable, ou, tout au moins un de