LE CAUCASE 267 de l'Etna, ni du haut du pic de Gavarnie, je n'avais rien vu de pareil. Et cependant, je l'avoue, j'éprouvai un indicible sen- timent de bien-être quand je tournai le dos à ce magni- fique précipice. Mais, auparavant, on nous ménageait une dernière surprise. Nos cinq cents fantassins, avec la précision russe, firent une décharge de leurs cinq cents fusils. Jamais orage, jamais tonnerre, jamais volcan, ne roula des abîmes du ciel aux profondeurs de la terre un plus effroyable fracas. On m'amena, bien malgré moi, plus près que je n'avais encore été de l'abîme, et je pus voir, à sept mille pieds au-dessous de moi, les habitants de Guimry, c'est-à-dire des fourmis que l'on m'assura être des créatures hu- maines, sortir de leurs maisons tout effarés. Ils avaient dû croire que le Karanay s'abîmait sur eux. Ce fut le signal de notre départ. La descente commença; par bonheur, elle était assez facile pour n'être qu'une jouissance du commencement à la fin. Cette jouissance, c'était la conscience que chaque pas de mon cheval mettait un mètre de plus de distance entre moi et le sommet du Karanay. Quand je dis chaque pas de mon cheval, je me trompe, car nous descendimes jusqu'au village ruiné en tenant nos chevaux par la bride, et ce n'est qu'au delà et sur une pente plus douce que nous nous hasardâmes à nous remettre en selle. Nous dinâmes à la forteresse d'Ischkarti, et nous eus- sions pu à la rigueur aller coucher à Bouinaky; mais nous étions assez fatigués pour faire de nous-mêmes au