LE CAUCASE 255 des bras presque détachés du corps, des poitrines creu- sées à y voir le cœur! Comment se fait-il que l'horrible ait un si étrange attrait, qu'une fois qu'on a commencé à regarder, on veuille tout voir? Iman-Gasalief nous montra ses deux cadavres, qu'il reconnaissait aux blessures qu'il leur avait faites. Je lui demandai à voir l'instrument qui avait si bien travaillé. C'était un kandjar des plus simples, à poignée d'os et de corne; seulement, il avait acheté la lame à un bon faiseur, et l'avait fait solidement monter; le tout lui revenait à huit roubles. Je lui demandai s'il consentirait à se défaire de cette arme, et combien il la vendrait. - Ce qu'elle m'a coûté, me dit-il simplement. J'ai maintenant trois kandjars, puisque j'ai ceux des deux Lesghiens que j'ai tués; je n'ai donc plus besoin de ce- lui-ci. Je lui donnai un billet de dix roubles et il me donna son kandjar. Il fait partie de la collection d'armes que j'ai rappor- tées du Caucase, et qui presque toutes sont historiques. Nous attendimes que Moynet eût fait un dessin du ravin où étaient couchés les cadavres, et, abandonnant la place à cinq ou six aigles qui paraissaient attendre notre départ avec impatience, nous descendimes vers la plaine. Au bas de la montagne, nous retrouvâmes nos voi- tures; on avait jugé inutile de s'en servir. Nous primes congé d'Iman-Gasaliet, et voyant que nos Tatars avaient grande envie de retourner avec lui à