LE CAUCASE 239 nous eussions avec nous toutes sortes de préservatifs, ou plutôt de curatifs contre la fièvre, il avait toujours peur de se renfiévrer de nouveau. Je jetai les yeux autour de moi. Il me sembla que nous étions dans un paysage magnifique; mais ce n'était pas l'heure de parler paysage à Moynet. Nous formions le centre de huit ou dix caravanes embourbées comme nous. Vingt-cinq voitures au moins, la plupart attelées de buffles, stationnaient dans une situation exactement identique à la nôtre. Il fallait que je dormisse d'un terrible sommeil, pour n'avoir pas été réveillé par les cris féroces qui retentis- saient autour de moi. Ceux qui poussaient ces cris étaient des Tatars. Je regrettai de ne pas connaître la langue de Gengis-Khan. Il me semble que j'eusse enrichi le vocabulaire des ju- rons français d'un certain nombre de locutions remar- quables par leur énergie. Ce qu'il y avait de pis, c'est que nous étions au pied d'une montagne; que cette montagne paraissait dé- trempée de la base au sommet, et qu'à pied, avec mes grandes bottes, j'avais toutes les peines du monde à me tirer d'affaire. Kalino prenait la situation avec sa philosophie ordi- naire. Il en avait vu bien d'autres, disait-il, dans les dégels de Moscou. -- Mais, alors, disait Moynet, comment s'en tire-t-on, dans les dégels de Moscou ? -On ne s'en tire pas, répondait tranquillement Kalino.