216 IMPRESSIONS DE VOYAGE taine prouve au colonel que le soldat a vécu dans l'abondance. En campagne, le soldat doit manger tous les jours sa soupe aux choux, son tchi et un morceau de viande d'une livre et demie. Ce tchi se fait d'avance comme nos conserves. Un spéculateur eut l'idée de substituer, dans la con- fection du tchi, à la vache ou au boeuf qui en fournissent la partie la plus substantielle, du bouillon de corbeau. Les corbeaux abondent en Russie: ils volent par milliers, par millions, par milliards; ils sont devenus un animal domestique comme le pigeon, qu'on ne mange pas; ils se promènent par bandes dans les rues, atta- quent les enfants qui mangent et leur arrachent le pain des doigts. Dans certains districts de la Petite Russie, on les utilise en leur faisant couver des œufs de poule que l'on glisse dans leurs nids à la place de leurs pro- pres œufs. Le corbeau, tout au contraire du pigeon, qui est re- gardé comme un oiseau sacré, est regardé, lui, comme un animal immonde. Tout chasseur sait que le corbeau fait d'excellente soupe; le tchi au corbeau était probablement meilleur que ne l'eût été le tchi à la vache ou au boeuf. Mais une indiscrétion fut commise. La vérité sur le potage quotidien fut connue, et, pendant toute une cam- pagne, le soldat, au lieu de manger son tchi, le jeta. Quant à la livre et demie de bœuí qui lui revient par jour en campagne, voici ce que me racontait un jeune officier qui a fait la guerre de Crimée : Un boeuf fait à peu près par jour, au chiffre que nous 1