LE CAUCASE 215 chose de pareil en Afrique, moins la difficulté des lieux; mais nos soldats, bien payés, bien nourris, bien cou- verts, avaient la chance si encourageante, quoique si frivole parfois, d'un avancement illimité; mais, je le répète, cela a duré deux ou trois ans. Chez les Russes, cela dure depuis quarante ans. Chez nous, il est à peu près impossible de voler le soldat; en Russie, tout vit de sa pauvre substance, sans compter les aigles, les vautours et les chacals, qui dé- vorent son cadavre. Ainsi le gouvernement accorde par mois à chaque soldat trente-deux livres de farine et sept livres de gruau. Le capitaine reçoit ces aliments en nature et du ma- gasin de la couronne; il doit les rendre au paysan qui nourrit le soldat. Chaque mois, le capitaine, au moment de régler les comptes avec le village, engage le mir, c'est-à-dire le conseil de la commune, à venir passer la soirée chez lui. Là, on apporte des cruches de ce fameux vodka dont le paysan russe est si friand. On boit. Le capitaine, qui n'aime pas le vodka, se contente de verser. Une fois le conseil du village ivre, tout le mir signe un reçu. Le gruau et la farine sont convertis en quelques cru- chons de mauvaise eau-de-vie. Le lendemain, le capitaine porte les reçus du conseil au colonel. Le soldat a été mal nourri par le paysan, qui sait d'avance qu'il ne sera pas remboursé; mais, en exhibant le reçu de ses trente-deux livres de fa- rine et de sept livres de gruau par homme, le capi-