214 IMPRESSIONS DE VOYAGE avait fourni son contingent de vues pittoresques et de jolies femmes. Pas une belle Géorgienne avec laquelle nous n'ayons fait connaissance trois semaines avant d'avoir fait con- naissance avec la capitale de la Géorgie. Ce fut là surtout que je remarquai la différence qu'il y a entre le soldat russe en Russie, et le soldat russe au Caucase. Le soldat russe en Russie est profondément triste; son état lui répugne, son esclavage lui pèse; la distance qui le sépare de ses chefs l'humilie. Le soldat russe au Caucase est gai, vif, enjoué, far- ceur même, et se rapproche beaucoup de notre soldat. L'uniforme lui devient un honneur; il a des chances d'avancement, de distinction, de danger. Le danger l'ennoblit en le rapprochant de ses chefs, en créant une espèce de familiarité entre lui et ses officiers; le danger l'égaye enfin en lui faisant sentir le prix de la vie. Si l'on mettait sous les yeux de nos lecteurs français les détails d'une expédition dans les montagnes, ils se- raient étonnés de ce que peut supporter de privations le soldat russe, mangeant son pain noir et humide, cou- chant sur la neige, passant, lui, son artillerie, ses ba- gages et ses canons, par des chemins où jamais l'homme n'a mis le pied, où jamais le chasseur n'est arrivé, où l'aigle seul à plané au-dessus du granit et de la neige. Et pour quelle guerre! pour une guerre sans merci, sans prisonniers, où tout blessé est considéré comme un homme mort, où le plus féroce des adversaires coupe la tête, où le plus doux coupe la main. Nous avons eu pendant deux ou trois ans quelque 1