188 IMPRESSIONS DE VOYAGE rapprochés m'avaient rejoint et attendaient, immobiles comme moi. Alors, nous vîmes venir à nous quelque chose d'im- possible à reconnaître dans l'obscurité, mais qui, cepen- dant, de seconde en seconde, se dessina plus clairement. Lorsque le groupe ne fut plus qu'à dix pas de nous, nous distinguâmes et nous comprîmes. L'agent moteur était Bageniok; il tenait son kandjar entre ses dents, portait, sur son épaule droite, une femme évanouie, mais qui n'avait pas lâché son enfant, qu'elle tenait entre ses bras; et, de sa main gauche, par la seule tresse de cheveux qu'elle eût au milieu du crâne, une tête de Tchetchen trempant à moitié dans l'eau. Il jeta la tête sur la berge, y déposa la femme et l'enfant, et dit en russe, d'une voix où il était impossible de distinguer la moindre émotion : Maintenant, mes amis, lequel de vous a une goutte de vodka ? Et ne croyez pas que ce fût pour lui qu'il la deman- dait. C'était pour la femme et l'enfant. Deux heures après, nous rentrions à Kasafiourte, ra- menant en triomphe l'enfant et la mère, parfaitement revenus à la vie. Mais j'en suis encore à me demander si l'on a le droit de se mettre à l'affût d'un homme comme on se met à l'affût d'un cerf ou d'un sanglier. 1