LE CAUCASE 185 Tchetchens, et qu'en cas d'attaque, ma vie dépendait de la justesse de mon coup d'œil, ou de la force de mon bras. Deux heures s'écoulèrent ainsi. Soi que la nuit s'éclaircît, soit que mon œil s'habi- tuât aux ténèbres à force de sonder l'obscurité, j'en étais arrivé à distinguer parfaitement l'autre côté du fleuve. Je ne perdais pas de vue la rive opposée, quand il me sembla entendre à ma droite un faible bruit. Je jetai les yeux sur mon compagnon: soit qu'il n'en- tendît pas, soit que ce bruit lui parût sans importance, il n'avait pas l'air d'y faire attention. Le bruit devenait de plus en plus perceptible. Il me semblait entendre le pas de plusieurs personnes. Je me rapprochai insensiblement de Bageniok, lui mis une main sur le bras et étendis l'autre main du côté où, cette fois, j'entendais bien distinctement le bruit. - Nitchevo, me dit-il. Je savais assez de russe pour traduire nitchevo. « Ce n'est rien, » m'avait répondu Bageniok. Je n'en restai pas moins l'œil fixé du côté d'où venait le bruit. Alors, je vis, à vingt pas de moi, s'avancer un grand cerf, à la magnifique empaumure. Il était suivi de sa biche et de deux faons. Il s'approcha sans défiance du cours d'eau et se mit à boire. Ce n'était rien, avait dit Bageniok. En effet, ce n'était pas le gibier que nous attendions. Je ne pus m'empêcher de le mettre en joue... Oh! si j'avais pu làcher le coup, il était bien à moi.