LE CAUCASE 177 Et encore sont-elles libertines, cyniques même, mais jamais gaies. Ce ne sont point des danses, c'est une marche lente en avant et en arrière, où les pieds ne quittent jamais le sol; où les bras, beaucoup plus occupés que les jambes, font le mouvement d'attirer ou de repousser; où la mélodie est toujours la même et se prolonge à l'infini, bien sûr qu'est le musicien que danseurs et danseuses peuvent exécuter ces sortes de mouvements toute une nuit sans être le moins du monde fatigués le matin. Le bal dura jusqu'à minuit, la même danseuse suffi- sant à Bageniok, à Michaëlouk et à Kalino, qui, de temps en temps, n'y pouvant tenir, changeait la danse les- ghienne ou kabardienne en danse russe. Quant à Ignacief, qui eût dû être le plus fatigué de tous, attendu que c'était lui qui se donnait le plus de mouvement, il semblait être infatigable. A minuit, on entendit une certaine rumeur dans la cour, puis dans le corridor. C'étaient les compagnons de nos chasseurs qui les venaient chercher. Ils étaient en costume de campagne, c'est-à-dire qu'au lieu de leurs teherkesses d'apparat, avec lesquelles ils nous avaient reçus, ils étaient vêtus de tcherkesses en lam- beaux. Celles-là, c'était leur costume de guerre, c'étaient celles que les expéditions nocturnes avaient effilées aux ronces et aux épines. Pas une qui n'eût sa trace de balle ou de poignard, pas une qui n'eût ses taches de sang. Si elles avaient pu parler, elles eussent raconté les 1