176 IMPRESSIONS DE VOYAGE C'était Ignacief. Ignacief, gros, court, bâti en Hercule dans sa taille trapue, avec son papak large comme ses épaules et dont les frisons lui descendaient jusqu'au nez, sa barbe rousse, dont les poils lui descendaient jusqu à la cein- ture, était un des types les plus grotesques et, en même temps, les plus terribles que j'ai vus. De ses bras courts et robustes, il jouait du violon, avec cette singularité qu'il tenait le violon de la main droite et l'archet de la main gauche. Il mettait à appuyer son archet sur les cordes de son violon, la même énergie qu'il eût mise à faire grincer une scie sur un morceau de bois de fer. Notre hôtesse pouvait désormais danser, non-seule- ment avec les jambes, mais encore avec les bras. Nous avions cru d'abord qu'elle serait un peu effrayée à la vue des trois visages que nous lui ramenions; mais sans doute qu'elle les connaissait, car elles les accueillit avec un charmant sourire, donna une poignée de main à Bageniok et échangea quelques mots avec Ignaciet et Michaëlouk. Ignacief tira son violon de dessous sa tcherkesse et commença à le râcler. Sans se faire prier autrement, Léila se mit à danser à l'instant même; Bageniok lui fit vis-à-vis. J'ai déjà parlé de la tristesse profonde de la danse russe. Elle ressemble à ces danses de funérailles que les Grecs menaient aux tombeaux des morts. Les danses de l'Orient ne sont guère plus gaies, à moins que, comme celle des almées et des bayadères, elles ne tombent dans les danses expressives.