174 IMPRESSIONS DE VOYAGE Pendant ce temps, retentissaient dans une pièce voi- sine le tambourin tatar et la flûte lesghienne; c'étaient nos coupeurs de têtes, les chasseurs du régiment de Kabardah, qui venaient nous donner un échantillon de leur science chorégraphique. A peine la porte fut-elle ouverte et fûmes-nous in- troduits comme spectateurs, que je reconnus les origi- naux des portraits que j'avais vus : Bageniok, Ignacief et Michaëlouk. Ils furent fort étonnés que je les appelasse par leurs noms, et cette prescience de leur individua- lité ne contribua pas peu à activer la connaissance. Au bout de dix minutes, nous étions les meilleurs amis du monde, et ils nous faisaient sauter dans leurs bras comme des enfants. Chacun dansa de son mieux: nos chasseurs de Kabar- dah, la tcherkesse et la lesghienne; Kalino, un des plus beaux, et surtout un des plus infatigables danseurs que Je connaisse, leur répondit par la trépaka. Peu s'en fallut que je ne me rappelasse les jours de ma jeunesse et que je ne leur laissasse à mon tour, dans le cancan, un échan- tillon de notre danse nationale. A dix heures, la soirée finit; nous primes congé du lieutenant-colonel, qui fixa notre départ au lendemain onze heures du matin, voulant avoir le temps de pré- venir un prince tatar que nous dinerions en passant chez lui; puis, de nos jeunes officiers, parmi lesquels nous remarquâmes trois ou quatre capotes de soldat, dont les habitants-j'allais dire, à tort, les propriétaires : le soldat ne possède rien, pas même sa capote-dont les habitants ne nous parurent ni moins gais, ni moins libres avec leurs supérieurs que les autres.