LE CAUCASE 173 Pas une, en effet, qui dépassât l'autre d'une ligne, pas une qui ne sentit les coudes de sa voisine. Je ne les comptai pas; il devait bien y en avoir soixante ou quatre-vingts. Cela faisait deux ou trois par convive, en supposant qu'on n'envoyât pas chercher de renfort à la cave. Nulle part on ne boit comme en Russie, en Géorgie cependant. - - si ce n'est Ce serait une lutte curieuse à voir qu'une lutte entre des buveurs russes et géorgiens; j'offre de parier que le chiffre des bouteilles bues arriverait à une douzaine par homme; mais je ne me charge pas de dire d'avance à qui demeurerait la victoire. J'étais, au reste, déjà aguerri à ces sortes de luttes. Dans la vie habituelle, je ne bois que de l'eau à peine rougie. Quand l'eau est bonne, je la bois pure. Fort ignorant sur les crus des vins, capable de con- fondre le vin de Bordeaux avec le vin de Bourgogne, j'ai pour l'eau une extrême finesse de dégustation. A l'épo- que où j'habitais Saint-Germain, et lorsque, par paresse, mon jardinier allait puiser l'eau à une fontaine plus rapprochée que celle dont l'eau me désaltérait d'ha- bitude, je reconnaissais la substitution à l'instant même. Mais, de même que tous les hommes qui boivent peu, ce que je vais dire a l'air d'un paradoxe, —je suis très-difficile à griser. La facilité à se griser, chez les hommes qui boivent Deaucoup, tient à ce qu'il y a toujours un reste d'ivresse de la veille. Je fis donc amplement honneur aux quatre- vingts bouteilles de vin de Champagne réunies pour la fête dont j'étais le héros. 10.