LE CAUCASE 169 tracés comme avec un pinceau. Son œil noir, plein de vaguïté, était ombragé par une paupière de velours Son nez semblait avoir servi de modèle à celui de l'Apollon Pythien. Ses lèvres, rouges comme du corail à travers sa barbe noire, faisaient valoir des dents de nacre. Et, avec tout cela, cette espèce de dieu grec descendu sur la terre, ce Dioscure qui avait oublié de remonter à l'Olympe, était vêtu d'une tchoka déchirée, d'une be- chemette en loques, et ses pieds nus passaient à l'ex- trémité d'un large pantalon de drap lesghien. Nous jetàmes, Moynet et moi, un cri involontaire d'admiration, tant la beauté est, chez les peuples civi- lisés, la beauté! tant il est inutile de la contester! tant il est impossible de ne pas la reconnaître, qu'elle appa- raisse sous les traits de l'homme ou de la femme! Je fis demander à notre jeune homme à quelle race il appartenait. Il nous répondit qu'il était Géorgien. Eh bien, à notre avis, le seul avantage, comme beauté, que possède le Tcherkesse sur le Géorgien, c'est celui qu'aura toujours le montagnard sur l'homme des villes, c'est-à-dire l'adjonction du pittoresque à la per- fection de la forme. Le Tcherkesse, avec son faucon sur le poing, sa bourka sur l'épaule, son bachlik sur la tète, son kandjar à la ceinture, sa schaska au côté, son fusil à l'épaule, c'est le moyen âge ressuscité, c'est le xve siècle appa- raissant au milieu du XIX. Le Géorgien, avec son charmant costume tout de soie et de velours, c'est la civilisation du xvIIe siècle; c'est Venise, c'est la Sicile, c'est la Grèce, c'est ce que l'on a vu. Le Circassien, c'est ce que l'on rêve. 1. 10