152 IMPRESSIONS DE VOYAGE qui leur reviennent à soixante, à quatre-vingts, et même à cent roubles. J'ai une de ces bourkas, merveille de travail, qui m'a été donnée par le prince Bagration. Lorsque le montagnard part vêtu ainsi, monté sur son infatigable petit cheval que l'on croirait natif du Nedjed ou du Sahara, il est vraiment magnifique à voir. Plus d'une fois il a été prouvé que des bandes de Tche- tchens ont fait, dans une seule nuit, cent vingt, cent trente, et même cent cinquante verstes. Ces chevaux gravissent ou descendent, au galop toujours, des pentes qui semblent impraticables même à un homme à pied. Aussi le montagnard poursuivi ne regarde jamais de- vant lui si quelque ravin profond traverse son chemin, et qu'il craigne que la vue de cet abime n'effraye son cheval, il détache sa bourka, lui en enveloppe la tête, et, en criant Allah il Allah! il s'élance, presque tou- jours impunément, dans des tranchées de quinze à vingt pieds de profondeur. Hadji Mourad, dont nous raconterons plus tard l'his- toire, fit un de ces sauts périlleux. Il est vrai qu'il se brisa les deux jambes. Le montagnard, comme l'Arabe, défend jusqu'à la der- mière extrémité le corps de son compagnon. Mais c'est à tort qu'on dit qu'il ne l'abandonne jamais. Nous avons laissé, un peu en avant de l'aoul d'Helly, le corps d'un chef tchetchen et les cadavres de quatorze des siens dans un fossé. Je possède le fusil de ce chef. Il m'a été donné par le régiment de montagnards indigènes du prince Bagra- tion.