LE CAUCASE 131 Puis sa femme et ses deux enfants s'approchèrent à leur tour et lui firent leurs adieux. L'un des enfants, âgé de deux ans à peine, jouait avec les cailloux mêlés à la terre de la fosse. Enfin, le juge s'approcha et lui dit : - Gregor-Gregorovitch, il est temps. J'avoue que ce fut tout ce que je vis de la terrible scène. Je suis de ces chasseurs impitoyables pour le gibier, et qui ne peuvent pas voir couper le cou à un poulet. Je fis tourner bride à mon cheval et rentrai dans la stanitza. Dix minutes après, j'entendis une détonation : Gregor- Gregorovitch avait cessé d'exister, et la population ren- trait silencieuse dans la stanitza. Un groupe s'avançait plus lent et plus compacte que les autres: c'était le groupe qui accompagnait ceux que la justice des hommes venait de faire veuve et orphelins. Quoique peu disposé à la gaieté, je n'en demandai pas moins la maison de la belle Eudoxia Dogadiska. On me regarda comme un homme qui arrive de la Chine. Il y avait quatre ou cinq ans qu'elle était morte. Mais, de même qu'on lit sur certaine tombe du Père- Lachaise: « Sa veuve inconsolable continue son com- merce, » de même on ajouta : - Sa jeune sœur la remplace, et avantageusement. Et leur respectable père? demandai-je. - Il vit toujours, et la bénédiction du Seigneur est avec lui. Et nous allâmes demander à Ivan-Ivanovitch Doga- disky, respectable père d'Eudoxia et de Gruscha, une