LE CAUCASE 117 Je détournai les yeux, et, m'approchant de notre chet d'escorte, je lui fis quelques observations sur la cruauté qu'il y avait, à mon avis, d'abandonner ainsi aux aigles et aux chacals e corps de ce brave abreck qui avait succombé bien plutôt à la ruse qu'à la force, et j'insistai pour qu'on l'enterrât. Mais le chef me répondit que le soin de sa sépulture regardait ses compagnons, et que, s'ils voulaient rendre ce suprême devoir à ce pauvre cadavre où avait battu un si vaillant cœur, c'était à eux de le venir enlever pendant la nuit. C'est probablement ce qu'ils avaient l'intention de faire, car on les voyait, de l'autre côté du Terek, réunis sur une petite éminence, et nous menaçant à la fois de gestes que nous pouvions voir et de paroles dont le bruit, sinon le sens, arrivait jusqu'à nous. C'était une grande honte pour eux d'avoir laissé leur compagnon seul, une plus grande honte encore d'avoir abandonné son cadavre; c'était à ne pas oser rentrer dans le village. S'ils avaient eu au moins un cadavre enneini à pré- senter en place de celui qui leur manquait! La coutume des montagnards, en effet, est celle-ci : lorsqu'ils vont en expédition et qu'ils ont un ou plusieurs hommes tués, ils rapportent ces hommes jusqu'aux frontières du village; là, ils tirent des coups de fusil pour prévenir les femmes de leur retour; puis, quand ils les voient paraître à l'extrémité de l'aoul, ils déposent les corps à terre et s'en vont pour ne revenir que quand ils rapportent autant de têtes ennemies qu'ils ont perdu de compagnons. 7.