LE CAUCASE 99 avait gardé une énorme rancune pour une balle qu'ils lui avaient logée dans les côtes et un coup de sabre dont ils lui avaient balafré le visage. C'était un excellent homme, brave jusqu'à la témérité, mais sauvage et solitaire, ne frayant avec aucun de ses camarades. Il avait trouvé moyen de se loger dans une petite maison séparée des autres et presque hors de la ville. Il vivait là, dans la compagnie d'un chien et d'un chat. Le chien s'appelait Ruski et le chat Turki. Le chien était un méchant roquet blanc et noir, cou- rant sur trois pattes, tenant la quatrième en l'air, avec une oreille couchée et l'autre en paratonnerre. Le chat était un simple chat gris, pur chat de gout- tière. Jusqu'au moment du dîner, Turki et Ruski étaient les meilleurs amis du monde; l'un mangeait à la droite, l'autre à la gauche du chef de bataillon. Mais, après le diner, le chef de bataillon allumait sa pipe, prenait Turki et Ruski chacun par la peau du cou, et allait s'asseoir sur une chaise que son demchik lui avait préparée à la porte. Là, il disait au chat : - Tu sais que tu es Turc. Au chien: - Tu sais que tu es Russe. Et à tous deux : - Vous savez que vous êtes ennemis, et qu'il s'agit de se donner un coup de peigne. Prévenus ainsi, Ruski et Turki étaient frottés mu- seau à museau; si bien que, tout bons amis qu'ils