92 IMPRESSIONS DE VOYAGE sente, et surtout à cause des dangers qu'on y court. Sur ce chemin-là, en effet, tout est danger; on ne peut pas dire : « L'ennemi est ici, ou l'ennemi est là ; » l'ennemi est partout. Un massif d'arbres, c'est l'ennemi; un ravin, c'est l'ennemi; un rocher, c'est l'ennemi. L'ennemi n'est pas à tel ou tel endroit c'est l'endroit même qui est l'ennemi. Aussi chaque objet a son nom caractéristique: c'est le bois du Sang, c'est le ravin des Voleurs, c'est le ro- cher du Meurtre. Il est vrai de dire que ces dangers diminuaient con- sidérablement pour nous, grâce au blanc seing du prince Bariatinsky, lequel nous permettait de prendre autant d'hommes d'escorte que les circonstances le nécessite- raient. - Malheureusement, comme on l'a vu, cette permis- sion était souvent illusoire. Ce n'eût pas été trop que de vingt hommes; mais comment prendre vingt hommes d'escorte lorsqu'il n'y en a que sept au corps de garde? Nous approchions rapidement du bois; nos Cosaques tirèrent leurs fusils du fourreau, visitèrent les amorces et celles des pistolets, et nous dirent de prendre les mêmes précautions. Le crépuscule commençait à tomber. A peine fûmes-nous engagés dans le maquis, qu'un vol de perdrix se leva, et alla se reposer à vingt-cinq pas dans le fourré. L'instinct du chasseur prit alors le dessus; je tirai les balles de mon fusil Lefaucheux, j'y glissai deux cartou- ches à plomb, je fis arrêter la voiture et je sautai à terre, Moynet et Kalino, avec leurs fusils chargés à balle, se 1