LE CAUCASE 87 Seulement, était-ce la montagne? étaient-ce des nuages? Le doute persista encore quelques instants; enfin, le soleil fit un dernier effort, le reste du brouillard se dis- sipa en flocons vaporeux, et toute la majestueuse ligne du Caucase s'étendit devant nous depuis le Chat-Elbrouz jusqu'à l'Elbrouz. Le Kasbek, poétique échafaud de Prométhée, s'élevait avec son sommet couvert de neige. Nous restâmes un instant muets en face de ce splendide panorama; ce n'étaient ni les Alpes ni les Pyrénées; ce n'était rien de ce que nous avions vu, rien de ce que notre mémoire nous rappelait, rien de ce que notre imagination avait rêvé. C'était le Caucase, c'est-à-dire le théâtre où le premier poëte dramatique de l'antiquité fait passer son premier drame, drame dont le héros est un titan et dont les acteurs sont des dieux!... Combien je regrettai mon Eschyle! Je me serais arrêté là, j'y aurais couché et j'y aurais relu Prométhée depuis le premier jusqu'au dernier vers. On comprend que les Grecs aient fait descendre le monde de ces magnifiques sommets. C'est l'avantage des pays historiques sur les pays inconnus. Le Caucase est l'histoire des dieux et des hommes. L'Himalaya et le Chimboraço sont tout simplement deux montagnes, l'une de vingt-sept mille pieds de haut, l'autre de vingt-six mille. Le plus haut sommet du Caucase n'en a que seize mille, mais il sert de piédestal à Eschyle!