LE CAUCASE 79 routes de France, c'est un danger pareil à celui dont chacun nous disait que nous étions menacés; notre rencontre de la surveille, les quelques coups de fusil qui en avaient été la suite (1) nous indiquaient cepen- dant que nous étions en pays, sinon tout à fait ennemi, du moins déjà douteux. C'était, en effet, le lendemain seulement que nous devions entrer en pays véritablement ennemi. Il en est de la distance comme du danger; il me fal- lait une grande force de volonté pour me persuader que j'étais au milieu de ces pays presque fabuleux, où j'avais voyagé tant de fois sur la carte; pour me convaincre que j'avais, à quelques verstes à ma gauche, la mer Caspienne; que je traversais les steppes de la Kalmoukie et de la Tatarie, et que ce fleuve sur les bords duquel nous étions forcés de nous arrêter, était bien ce Terek chanté par Lermontof, ce Terek qui prend sa source au pied du rocher de Prométhée et qui dévaste le sol sur lequel a régné la mythologique reine Daria. Nous étions, en effet, arrêtés au bord du Terek et nous attendions le bac qui devait venir nous prendre après avoir passé une caravane de chevaux, de buffles et de chameaux. Tous les bacs des rivières en Russie, du moins dans la partie de la Russie que nous avons parcourue, sont 'œuvre du gouvernement. On les passe gratis; sous ce (1) Dans nos Impressions de voyage en Russie, nous avons raconté ce petit engagement, qui fut plutôt un avis de nous tenir sur nos gardes qu'un combat sérieux.