60 IMPRESSIONS DE VOYAGE II UNE SOIRÉE CHEZ LE GOUVERNEUR DE KISLAR Le gouverneur demeurait à l'autre extrémité de la ville, de sorte que nous traversâmes tout Kislar pour arriver chez lui. C'était jour de marché; aussi nous eûmes à nous ou- vrir un passage entre les charrettes, les chevaux, les chameaux et les marchands. Cela allait assez bien d'abord : nous avions com- mencé par traverser la place du Château, grande espla- nade dominée par la forteresse, et où l'on eût pu faire manoeuvrer vingt-cinq mille hommes; mais, lorsque nous passàmes de cette place sur celle du marché, la lutte commença. Je n'avais pas fait cinquante pas au milieu de cette foule armée jusqu'aux dents, que je compris le peu de cas que cette foule, soit comme masse, soit comme in- dividu, devait faire d'un homme sans armes. L'arme, en Orient, sert non-seulement à vous défen- dre, mais encore à empêcher que vous ne soyez attaqué. L'homme armé dit, même dans son silence : « Res- pectez ma vie, ou prenez garde à la vôtre!» Et cette menace n'est point inutile dans un pays où, comme l'a dit Pouschkine, l'homicide n'est qu'un geste. Nous traversâmes la place du Marché, et nous nous trouvâmes dans les vraies rues de la ville. Rien de plus pittoresque que ces rues avec leurs ar- bres sans symétrie, leurs flaques de boue où barbotent